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  • : James JOYCE à Saint-Gérand-le-Puy
  • : Informations, échanges sur la vie et l'oeuvre de Joyce. Thèmes de rencontres, conférences, tables rondes. Evènementiel : "Le jour d'Ulysse" Musée et bibliothèque Anna Livia Plurabelle. Balade "Sur les pas de Joyce à Saint-Gérand-le-Puy".
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18 janvier 2011 2 18 /01 /janvier /2011 12:10

 

            L’an dernier un contre temps nous avait obligé à repousser d’un an cette intervention. Or ce report a peut-être été pour nous une chance. En effet je comptais l’an dernier partir de la récente publication en mai 2009 d’un numéro de la Revue des Deux Mondes, où étaient publiés à la fois une étude d’ Olivier Cariguel sur Louis Gillet, deux articles de Louis Gillet publiés jadis dans la même Revue des Deux Mondes, respectivement en 1925 et 1931, sur les œuvres de Joyce, l’un sur Ulysse, l’autre sur Work in Progress ; ainsi que des lettres inédites de Joyce à Gillet écrites entre 1931 et 1936. C’est un bel ensemble qui méritait de retenir l’an dernier notre attention, notre attention à la fois de lecteur de Joyce, et de visiteur de Saint-Gérand-le-Puy, où Gillet était venu rendre visite à Joyce au cours de l’automne 1940. Cette actualité de juin 2009 n’est certainement pas engloutie dans l’abîme du passé, mais une nouvelle actualité vient en cette année 2010 pour justifier que nous consacrions une partie de notre  rencontre à la rencontre tout à fait improbable, il y a près de 80 ans, entre le critique très conservateur, très catholique, de la Revue des Deux Mondes, et  l’auteur d’Ulysse et de  Finnegans Wake. En effet, le mois dernier, en Mai, vient de paraître, aux éditions «Pocket » dans la collection  Agora une réédition de Stèle pour James Joyce que Louis Gillet avait publiée en 1941 aux éditions du Sagittaire, qui alors étaient repliées à Marseille.

 

            Ce volume, publié par Olivier Cariguel, reprend l’essentiel de  sa présentation de mai 2009,  publiée dans la Revue des Deux Mondes, et constitue donc une excellente occasion pour  lire ou relire les textes de Louis Gillet consacrés à Joyce.

 

            A cette actualité éditoriale s’ajoute un motif  certainement plus triste de nous intéresser à ces écrits joyciens.de Gillet. C’est la mort toute récente du dernier fils de Louis Gillet, Jérôme Gillet, grâce à qui justement les lettres de Joyce et les manuscrits de son père Louis Gillet, avaient pu, avec la bienveillante autorisation de Steven Joyce, (ça n’est pas rien !) être étudiés et publiés ces derniers temps.

 

            Alors notre enquête sur les rapports de Louis Gillet avec Joyce lui-même nous permet de distinguer en gros trois  moments, bien que cette distinction comporte, comme souvent en tel cas,  une part d’arbitraire. Ces trois moments sont incarnés dans trois écrits de Gillet, dont le premier prend appui sur Ulysse  et les deux suivants sur l’ensemble de l’œuvre de Joyce. C'est-à-dire sur Ulysse et en particulier sur Finnegans Wake.

 

            Le premier c’est l’article de la Revue des Deux Mondes  du 1er  Août 1925. Le second, un article de la même revue, du 15 août 1931, et le troisième un article de la même Revue des Deux Mondes du 15 décembre 1941, et un livre,  Stèle pour James Joyce, qui reprend, avec des additions, tous les articles de Gillet.

 

            Le 1er Août 1925, paraît dans la Revue des Deux Mondes un article de Gillet intitulé : « Du côté de chez Joyce ». Le titre évidemment à cette date là était un clin d’œil à l’œuvre de Proust, décédé trois ans auparavant en 1922 – clin d’œil dont il faudra essayer de mesurer la portée -  et peut être l’aspect provocateur. Tout est paradoxal d’ailleurs dans la publication de cet  article  de 1925. Paradoxal, l’auteur, la revue et le sujet de l’article.

 

            L’auteur, Louis Gillet,  c’est un historien d’art, trop amateur pour s’être plié aux exigences d’une  carrière  universitaire, mais curieux de nouveautés, même s’il reste extrêmement  classique dans ses goûts, même si sa vie est celle d’un bourgeois éclairé, cultivé et  tout à fait traditionnel. Donc à première vue Louis Gillet semble être bien mal préparé pour apprécier Ulysse. Ulysse, si éloigné des canons artistiques, du milieu et de la culture de Louis Gillet.

 

             Paradoxale aussi, la présence de cet article dans la Revue des Deux Mondes en cette année 1925 encore. Louis Gillet  y assure des articles de critique d’art, et cela  grâce à son beau-père, René Doumic, académicien très conservateur, très traditionnel en littérature, comme d’ailleurs dans les autres domaines. Il est directeur de la Revue  depuis 1916 et il le sera jusqu’en 1937. Gillet devint le collaborateur de Doumic, son intermédiaire  pour découvrir et solliciter les collaborateurs de  la Revue. Gillet était là pour être à l’affut de sujets d’articles et cela dans  une grande orthodoxie, orthodoxie à la fois politique – c’est une revue de droite -, même si elle sait parfois être assez tolérante. Orthodoxie littéraire aussi, orthodoxie   religieuse aussi. Donc un classicisme traditionnel, aussi éloigné de l’esprit rigoureux  de la nrf de  l’époque que de la modernité artistique et  poétique de plein d’autres revues de ces années vingt. De plus la prudence qui marque la position politique de la revue caractérise aussi, comme je le disais à l’instant,  tout ce qui concerne de près ou de loin la philosophie  ou la religion. On pourrait dire que le mot d'ordre pour la philosophie ou la religion, c'est : "on en parlera pas" Le confortable et bourgeois consensus a permis à Doumic de  se présenter comme le gardien de cette revue qui, sinon, risquerait à ses yeux d’être ébranlée. 

 

            Alors, même s’il manifeste ici ou là, en 1925, quelques velléités  d’indépendance et d’ouverture, Louis Gillet est  contrôlé et corrigé par son terrible beau-père, et d’ailleurs Louis Gillet ne semble pas du tout  s’offusquer de cette surveillance pointilleuse. La curiosité artistique,  les lectures variées,    l’histoire de l’art, sa  passion pour l’art du Moyen Age, pour la peinture, surtout pour la peinture italienne  et pour l’Italie…Un éclectisme d’ ailleurs qui le porte à lire  et aussi à écrire des critiques sévères sur ces auteurs – maints auteurs, tels que Dostoïevski, Conrad,  Gorki, Tagore, Samuel Butler – Larbaud ne lui pardonnera jamais sa  critique de Butler- Gehrardt Hauptmann un grand romancier allemand, Papini, Wells, Péguy…Péguy qui d’ailleurs fut l’ami et le condisciple de Gillet à  la rue d’Ulm, les frères Tharaud, Emile Mâle, etc. Je passe sur tous ces auteurs que Gillet a connus personnellement et dont il peut parler  à l’occasion de façon toujours prudente, quelquefois critique dans la Revue des Deux Mondes. Donc un éclectisme bien tempéré, signe d’une absence de dogmatisme, mais aussi d’une absence de vraie compétence  dans aucun domaine particulier. Alors nous sommes loin des histoires de l’art que vont après lui illustrer les Emile Mâle, les Erwin Panofsky, qui écriront sur les mêmes domaines que Gillet avait abordés en ne faisant que les survoler, alors qu’eux    transformeront toute l’histoire de la critique d’art au XX° siècle. Ce que Gillet n’avait jamais fait dans ses nombreux livres sur l’histoire de l’art.

 

            Alors ces remarques préliminaires sont destinées à vous faire comprendre que Gillet n’était certainement pas le mieux placé pour parler d’Ulysse en 1925.  Alors de fait quand vous lisez l’article de Gillet sur Ulysse, il paraît à notre première lecture porter un jugement très sévère. Il est vrai que pour Doumic, qui avait été sollicité par la femme d’Henri de Régnier, et qui était désireux, malgré son conservatisme, de ne pas passer à côté d’un livre dont certains commençaient à parler, avait demandé à son gendre Gillet de trouver dans ce gros livre s’il n’y avait pas un petit extrait à publier dans la Revue des Deux Mondes. Faute de trouver cet extrait dans Ulysse, la revue a décidé d’écrire un article que donnera Gillet, à la grande irritation des familiers de Joyce, comme Larbaud qui n’aura jamais ni sympathie ni admiration pour Gillet, qu’il estimait n’être qu’un pontife, et qu’il surnommait, vous le savez, le « rasoir  Gillet » - de fait, nous constatons que l’article de Gillet adopte un ton volontairement désinvolte. Si, selon lui, les premiers écrits  de Joyce, comme il le dit ne « cassaient rien », Ulysse, écrit-il, est « un tank », « une montagne de papier »[1], qui nous laisse « ébahi », « livre démesuré » où « il ne se passe [2] rien », écrit-il encore. Bloom est un « lamentable personnage » [3] et le  livre même,  je cite encore,  « un énorme montage de coup », « une fumisterie pince sans rire »[4]. Si l’on en parle tant, écrit Gillet, c’est que l’écriture est « singulière », « obscure », qu’il écrit dans « une langue intraduisible ». [5] Nous sommes donc là aux antipodes de ce que l’art avait jusqu’ici inventé  pour explorer ou suggérer ce qu’il dissimule sous la surface des sensations. L’art, tel que le comprend Gillet, et tel que le comprennent les lecteurs et la direction  de la Revue des Deux Mondes, ce n’est pas cela, c’est l’opposé de ce qu’on pourrait trouver chez Joyce. Bon, je pourrais prendre là tout un florilège : artifices, rhétorique, folie, sarcasmes, je ne sais quoi d’inhumain… « L’auteur d’Ulysse se plaît à mystifier son monde, et c’est son droit », écrit Gillet, presqu’à la fin de son article. (p 54 voir aussi  p51).

 

            En tout cas, je ne peux que vous conseiller de  lire cet  article, où cependant sous le sarcasme  et  la sévérité se cache – et on le sent en le lisant – une véritable jubilation. Evidemment jubilation du jeu de massacre, mais aussi jubilation suscitée directement par la lecture d’Ulysse. Certes les amis de Joyce pouvaient être irrités de ce qui avait toute les  apparences d’un éreintement. Et pourtant si nous lisons dans une deuxième lecture cet article, nous découvrons bien des éléments intéressants, et peut-être même pouvons-nous dire que ce qu’écrit Gillet, c’est bien vu, même si le critique de la Revue des Deux Mondes ne peut pas aller jusqu’au bout de ce qui nous paraît être ses intuitions, s’il refuse lui-même d’aller jusqu’au bout de ce qu’il a découvert dans le livre. Soit il tourne en dérision ce que lui-même a eu l’intelligence de découvrir dans le livre, soit il compense ce qu’il a découvert et qu’il affirme par des critiques qui annulent ce qu’il a écrit, mais qu’il a écrit quand même ! Alors déjà, lorsque, après Thibaudet, Gillet part à l’exploration de ce que  Thibaudet nomme « l’île Joyce », [6] pays de  « l’étrange » et de la « rêverie celtique », « pays de la quête ». Ce sont ses mots Je crois que les choses ne sont pas si mal vues. Puis lorsqu’il conteste le nom de roman, pour, écrit-il, « la composition singulière » qu’est Ulysse, c’est déjà, me semble-t-il, à mi-mots, insérer le livre de Joyce, ipso facto, dans une histoire qui est alors en pleins bouleversements, dans une histoire en pleine actualité. Le livre de Joyce ne se contente plus d’être une sorte d’aérolithe venu de l’extérieur  et sans intérêt, mais une pièce capitale dans le débat littéraire de ces années 1925. En effet Proust est mort en 1922 et c’est justement en cette année 1925 que sont publiés les Faux Monnayeurs. Et donc ipso facto, écrire sur  le livre de Joyce en 1925, c’est mettre le livre de Joyce dans l’actualité la plus neuve. Et même s’il y rechigne c’est l’actualité la plus Intéressante pour un chroniqueur de revue- c’est ce dont on parle, ce qui à l’époque est important.

 

            Alors la tâche d’un chroniqueur n’est-elle pas – et Gillet prend cette tâche à cœur – n’est-elle pas de déceler et de rendre compte de ce qu’il y a de nouveau, de ce qu’il y a d’important dans l’actualité ? D’autant plus que Gillet souligne que le livre a déjà atteint  et suscité, outre Manche et outre Atlantique, écrit-il, « toute une littérature ». Donc de la curiosité à l’admiration, peut-être la voie est-elle ouverte, ou tout au moins l’admiration est peut-être derrière la curiosité. Ainsi, dire que le livre est « démesuré », le mot est à double sens. Certes, pour Gillet, pour bien des lecteurs de la Revue des Deux Mondes, c’est une critique. Mais ça peut aussi s’interpréter, pour des lecteurs qui viennent de lire Proust, et qui viennent de lire nombre de ces œuvres romanesques monumentales qui ont été publiées depuis la fin du XIX° siècle et dans le premier quart du XX°, comme la reconnaissance d’un caractère à la fois  exceptionnel et moderne. Démesuré est une critique, mais c’est aussi la  reconnaissance de       l’importance de l’œuvre, importance exceptionnelle, et une modernité non moins exceptionnelle de l’oeuvre.

 

            Puis  à ce moment Gillet insère l’œuvre – comme peut-être Joyce l’avait fait - dans la tradition littéraire  longue de l’Odyssée d’Homère, jusqu’à Télémaque à la recherche de son père.  Démesure donc, comme l’écrit Gillet à la fois dans la « description colossale » - ce sont les mots que Gillet emploie…alors je vais lire quelques lignes de Gillet, où la critique se transforme, et presque malgré Gillet lui-même, en un enthousiasme qui mime le style même du livre de Joyce :

             «  Je ne crois pas qu’un écrivain se soit jamais attaché à nous faire connaître

            plus intrépidement  un homme, corps et âme, tripes et boyaux, à vider : le fond

            du sac et à représenter  avec plus de détails et moins de réticences tout le mouvement

             intérieur, la matière physique et morale, le fonds de sensations, d’images,  d’appétits,

            de tendances, d’impuretés, de désirs, d’obsessions, de manies, de besoins,

            de velléités, de  pensées qui composent l’étoffe vivante, la physiologie et la psychologie

            d’un seul individu. . Cette description colossale occupe à elle seule un bon tiers de

l’ouvrage. Avez-vous vu ces ruches vitrées qui permettent d’apercevoir l’intérieur, le bouillonnement affairé, l’activité laborieuse des milliers de  noires ouvrières dans les cellules ? Imaginez le couvercle ôté de dessus le cerveau d’un homme et que nous puissions voir cette cervelle, ces entrailles qui fonctionnent et qui fument, vous aurez une idée de ce portrait de M. Bloom » (p42)

Critique peut-être, mais en même temps une sorte d’enthousiasme qui rend bien compte de l’impression que fait ce livre de Joyce. L’irritation des amis de Joyce ne tombe pas peut-être parfaitement juste. Car alors  Gillet place Joyce dans la longue histoire d’un roman, de ce qui aboutit – qui peut être décadence ou accomplissement selon la façon dont on le comprend –où aboutit le genre romanesque  après Henry James dont on parlait tout à l’heure, après Huysmans et après Proust.

 

            Alors cette œuvre jugée inclassable, jugée hors mesure, et posée comme une sorte de point d’arrivée et de point de destruction, montre qu’un genre littéraire s’est dissous pour ainsi dire dans le rien de la pensée d’un homme. Le rien de la pensée d’un homme, le rien de l’insignifiance d’une des journées d’un homme.

            Mais aussi, paradoxalement, c’est ce rien de l’insignifiance de la pensée d’un homme qui se meut en une œuvre totale. Et cela en une autre filiation  du genre romanesque qui remonte à Swift – ce que Gillet appelle bien – et il n’est pas déplacé quand on parle d’Ulysse – le « côté farce ».- ce sont les mots de Gillet, et qu’il définira en une critique au sens ambigu « un caractère d’âcreté, je ne sais quoi d’inhumain, un sarcasme, une dérision de tout qu’on n’avait pas revus depuis le temps de Rabelais » (54). Car selon le critique – et cela confirme notre impression que le livre d’Ulysse lu par Gillet – une sorte de point d’aboutissement au-delà duquel il ne peut plus rien y avoir dans le genre romanesque – « Joyce , écrit Gillet, pousse le système jusqu’au bout » (46) Alors la tradition du roman jusqu’à sa  destruction, la tradition rabelaisienne et swiftienne qui va  jusqu’à l’inhumain et aussi  dissolution de la psychologie traditionnelle du roman français, de Madame de La Fayette, de  Benjamin Constant et d’Eugène  Fromentin – et qui va jusqu’au grand auteur  encensé par la Revue des Deux Mondes, Paul Bourget, donc la dissolution de ce qu’on peut appeler  « l’intelligibilité ou  la pensée claire» - ce sont les mots de Gillet, sa dissolution, écrit Gillet, « dans le peuple confus du sentiment et de l’instinct » (45) dans « l’inarticulé, le trouble, le crépusculaire » – ce qui est une  rupture à la logique – montre bien que Gillet peut-être a mis le doigt sur l’importance du livre d’Ulysse

  D’où ce que Gillet souligne encore dans Ulysse : - je cite encore :

« Une matière fluide, flottante, insaisissable, cette poudre, ce chaos de sentiments, de réminiscences  ou de débris d’images qui composent la pensée à l’état naturel, la pensée « se faisant » au lieu de la pensée « faite ». (46)

 

            Il faudrait peu de choses, je   crois, juste un changement d’accent, un changement de ton dans notre lecture pour transformer ce réquisitoire en apologie. Et faire de ces reproches un éloge, et sans doute  les uns et les autres pertinents.

            Alors les comparaisons, les mises en regard que le critique de la Revue des Deux Mondes opère entre Ulysse et la réalité artistique de son temps sonnent ainsi comme des dénonciations, c’est évident, mais  se retournent, pour nous lecteurs de 2010, en éloges et en lucidité. Lorsqu’il parle de «  portraits cubistes », (49) lorsqu’il parle de l’évocation du « perpétuel devenir » où il est difficile de ne pas lire  des allusions à Bergson, un auteur qui n’est pas en odeur de sainteté pour les penseurs de la Revue des Deux Mondes. Nous pourrions multiplier ces exemples de ce qu’on pourrait appeler le critique lucide malgré lui ;Gillet a beau crier   et ponctuer de points d’exclamation (il y a beaucoup de points d’exclamation dans l’article)… : «  le système est faux ! », tout cela n’est pas vrai, il y a une unité dans la vie , l’art n’est pas « invertébré », on peut « grouper » ses forces, Joyce a une « rage d’analyse » (50) « Monsieur Joyce met tout sur le même plan, écrit-il : il prête à son idiot de Bloom sa propre vision, sa manie  d’analyse, son outillage psychologique, ses pinces, ses microscopes et tire pêle-mêle à la lumière les infusoires, les avortons,  les larves, tous les infiniment petits dont se compose le madrépore de la conscience. » (50)

            Et Gillet d’évoquer alors ce qu’il appelle « le style Dada »  - Gillet parle de « pleine folie », de « ballet fantastique »(53) – et il résume en une phrase qui se veut une condamnation définitive, mais qui résonne comme une involontaire définition de l’œuvre :

« Conscience, subconscience, psychanalyse, freudisme. « Moi », « Non moi », ouverture des « portes de l’avenir », que d’affaires » (55)

Que d’affaires en effet que Gillet s’est montré capable de découvrir dans le livre de Joyce et de souligner dans son article.

           Alors c’est sans doute parce qu’Ulysse ouvre les portes de l’avenir que le critique de la Revue des Deux Mondes, qui a bien senti l’enjeu qu’il y avait, ne pouvait ni faire le silence sur le livre ni faire l’éloge du livre – ou en tout cas ne pas encore en faire l’éloge.

 

 

            Et c’est  ici que nous passons à notre deuxième étape. Cet article de 1925 n’est pas là, bien loin de là, le dernier mot de Louis Gillet sur Joyce. Bien des choses ont amené le critique à revenir sur ses jugements de 1925... En tout cas à donner peu à peu à ses intuitions toute leur portée, à dégager ce qu’il y avait de positif dans ses négations. .

 

            ll y a certainement, je  crois, des causes extérieures. Il ya aussi des démarches personnelles. Surtout  la rencontre avec Joyce lui-même. L’homme Joyce en 1931. Joyce qui, peut-être plus qu’un certain  nombre de ses amis, avait su deviner, sous les sarcasmes, un intérêt refoulé. Comme d’ailleurs l’avaient  fait Sylvia Beach, Adrienne Monnier et Jean Prévost. Surtout le fait que Lucia Joyce fit la connaissance d’une des filles de louis Gillet. Il y avait donc des rencontres familiales et personnelles qui  sont intervenues entre 1925 et l’article de 1931.

 

            Alors l’évolution de Gillet lui-même est sans doute entre 1925 et 1931 une certaine liberté prise dans la Revue des Deux Mondes avec l’âge de Gillet et sa notoriété - sous peu il rentrera à l’Académie.- lui permit de porter à l’expression ce que l’étrange article de 1925 refoulait encore.

            Cela pourrait apparaître comme une conversion.  Mais je crois que nous avons là plus qu’une conversion : le déploiement de virtualités latentes.  En effet la curiosité de Gillet pour la chose littéraire, l’absence même de dogmatisme artistique et l ‘absence de souci théorique – on pourrait presque dire  aussi l’amateurisme de Gillet – qui étaient  sûrement des faiblesses lorsqu’il s’agissait de  juger une œuvre – pouvaient se muer en un avantage. Une commune connaissance admirative pour l’Italie, une commune culture catholique, même si les conséquences étaient très différentes – tout cela explique, je crois, avec une sympathie réciproque et personnelle, le changement qu’on repère dans la  critique de Gillet sur les œuvres de Joyce, et qu’il exprime dans l’article du 15 août 1931, explicitement sur Work in Progress, article écrit dans la Revue des Deux Mondes, même si le beau-père Doumic, toujours  directeur de la Revue, avait veillé au grain et inséré, comme contrepoids à l’article trop enthousiaste de son gendre, un texte sur Paul Bourget qui venait d’être nommé Grand Officier de la Légion d’Honneur.

 

            Six ans après l’article de 1925, le ton de l’article de 1931 est tout différent. Non pas seulement parce que ce que Gillet appelle « le nouveau roman » de Joyce « tourne le dos, écrit-il, à Ulysse ». Dès la première page, le fragment Anna Livia Plurabelle est déclaré « classique », et le critique souligne, peut-être avec pertinence – sans doute il aurait pu le faire dès 1925 que, je cite :

 « Le principe central de son œuvre, comme celle de Proust, est bâtie sur une vue métaphysique de la durée, mais  la ressemblance s’arrête là. Le temps de  Proust est la durée bergsonienne, celui de M. Joyce est le temps absolu,  intemporel, monumental  de l’illustre Giambattista Vico. »  (58)

 

            Proust, Vico, Shakespeare, bientôt Rabelais sont les noms qui viennent sous la plume de Gillet pour évoquer le rapport de  Joyce  au temps de l’histoire. Et c’est aussi  Homère, dont le héros Ulysse ne fait qu’un immense périple que pour revenir à son île de départ, qu’il n’ a peut-être  jamais quittée comme Joyce « oiseau migrateur, écrit-il , le fait avec Dublin qu’il a toujours quittée sans jamais la quitter »

 

            Le critique peut alors saluer « le génie de  Joyce pour fabriquer  des cosmos ». Des mondes, mais peut-être pas, écrit-il, des « sujets » d’un livre. Finnegans Wake, tout au moins Work in Progress, à cette date, n’a alors ni nom, ni sujet.  Les « thèmes », écrit-il, s’y « engendrent » mutuellement, constituant « une légende, une sorte d’histoire extra temporelle » (61). J’aimerais prendre ce mot légende en son sens propre. Une légende, c’est ce qu’on doit lire, ce qui se lit. Une légende n’est pas une histoire inscrite dans le temps, mais qui construit, à partir de toutes les histoires du monde, une histoire qui récapitule « toutes  les histoires » racontées et lues par les hommes. C’est ce  qui se raconte et qui se  lit. C’est la  Genèse, c’est Homère, etc.

 

            Alors que l’article de 25 s’interrogeait, à partir d’Ulysse,  sur la déconstruction qui, nous le disions tout à l’heure, était en même temps un aboutissement, du genre romanesque, Gillet, en 31,  souligne la nouvelle entreprise de Joyce qui, écrit-il, « n’a rien de commun avec  ce qu’on appelle un roman ». (62)

 

            Alors le critique vise bien ce qu’on reconnaît aujourd’hui dans  ces années, la « crise du roman », avec, nous le voyons en 1925, Les faux monnayeurs, suivi en 1926 par le Journal des   faux monnayeurs. Joyce dans son évolution même est témoin et acteur de l’impossibilité d’écrire un roman dans le monde du XX siècle. D’où une avancée qui est en même temps un retour vers les œuvre qu’on peut appeler, non pas romanesques, mais « cosmiques » (59), Dante, Milton, mais dont le cosmos peut être réduit au microcosme,  iI n’y a plus de personnages, il n’y a plus de « héros ». Des héros qui animaient encore Ulysse si on peut employer ce terme, sinon en son sens antique. Les personnages, qui sont des pièces essentielles du roman traditionnel, et pas seulement d’ailleurs du roman psychologique français. Les personnages, écrit-il, se « décomposent », perdent leur être de composition, pour revêtir « l’être de Monsieur tout le Monde » (63) – et je crois qu’il faut prendre l’expression à la lettre : Monsieur tout le monde, et nous retrouvons ici cette littérature du cosmos qui succède à la littérature du roman.

 

            Là,  Gillet ne pouvait faire la comparaison avec une œuvre qui était toute contemporaine à cette époque, et qui me vient immédiatement à l’esprit, et qui témoigne elle aussi de cette « dé-composition », si l’on peut dire, à la  fois du roman et du temps  romanesque : L’homme sans qualités de  Musil., dont le tome I vient de paraître en 1930 – le tome II paraitra en 33, le tome III inachevé bien plus tard – et qui ne sera traduit en français que dans les années 50 – Evidemment Gillet ne peut pas le connaître – mais  nous avons là – de façon tout à fait contemporaine, un autre exemple de cette décomposition du roman traditionnel après Proust et Gide.

 

            Ce qui est intéressant chez Gillet, dans cet article, c’est qu’il met en rapport  avec une perspicacité que personne  n’aurait soupçonnée chez le gendre de Doumic  - ce qu’il appelle la « décomposition » de l’œuvre  littéraire, c'est-à-dire l’exact contraire du classicisme bourgeois de la Revue des Deux Mondes dont le grand héros est Paul Bourget qui se survit à lui-même sous les décorations et la gloire. Et également la disparition de la psychologie et ce qui est caractérisé maintenant par « l’émiettement du Moi ». Chaque personne, écrit Gillet, « est  une collection de personnes différentes » et chaque personne a perdu – c’est son mot – « toute consistance.. »

 

            Alors à cette décomposition du moi, « l’excentricité » (c’est encore son mot) du langage donne encore une expression, tout en  en constituant, je crois, une des origines et un des moteurs de cette décomposition du moi. »  -  Le bouleversement, écrit-il, de la « matière du discours », son altération, est à la fois la cause et elle reflète la décomposition, le bouleversement et  l’ « altération » du moi.

 

            D’où l’importance du jeu de mots dans cette œuvre.  D’où l’importance de la « déformation », de l’invention verbale. Gillet cite alors d’Aubigné, la littérature macaronique (66 –sur la littérature macaronique cf. ; note3, p66), Swift, le Balzac des Contes drolatiques, Rabelais, etc. Non seulement pour retrouver une sorte de généalogie de ce nouveau genre littéraire que semble être Work in Progress, mais peut-être aussi pour apprivoiser les lecteurs de  la Revue des Deux Mondes ou pour faire passer son article aux yeux de son beau-père. Mais pour souligner que Joyce fait encore un pas de plus, un pas plus compliqué, plus problématique, au sens où il suscite des problèmes à chaque mot.

 

            Joyce alors est défini aux yeux de Gillet comme poète. (69). Poète, au sens étymologique du mot, c’est celui  qui fait (Poïen) qui, écrit-il, « donne vie à des êtres », il crée, comme nous l’avions dit, des légendes, des legenda, c’est à dire ce qui se lit, ce qui fait lire, ce qui doit se lire.

 

            « Lire ». Gillet donne des exemples de lecture. Il compare alors au texte de Dante (cf. 62 et surtout p 70). Il montre comment  chez Joyce un empilement de « sens superposés » doivent être découverts, pelés comme « autant qu’il y a de tuniques à un oignon » (70) Comme le critique le suggère, mais comme le lecteur averti le devine,  cette superposition des sens, les sens traditionnels, les sens  de l’écriture, sens littéral, sens allégorique, etc. n’est pas sans faire penser à la traditionnelle  composition des sens que l’exégèse biblique ne cesse de travailler ou de dégager.  Gillet propose donc un mode de lecture exégétique de Work in Progress qui met pour ainsi dire, évidemment en filigrane le livre de Joyce sur le même plan que ces livres que l’on ne cesse de peler comme les pelures d’un oignon, c'est-à-dire Homère, la Bible, Dante..

 

            Le livre de Joyce, alors, plus encore que celui de Dante, apparaît comme une Bible, comme to biblion. Le Livre qui ne cesse de se construire – de se construire par l’acte même de sa lecture. Et cela avec lucidité. Il faut lire. En l’exposant peut-être moins clairement que j’essaie de le faire ici, Gillet le suggère.

 

            Et il y avait, je le crois, quelque audace à le faire. Le beau-père directeur de la Revue, Doumic, devait certainement, en lisant cet article, - car il lisait tous les articles avant publication -  sentir vaciller ses évidences littéraires et idéologiques. Et c’est pourquoi il n’est pas trop de faire donner le grand modèle Bourget dans le même numéro en contrepoids.

            L’article de Gillet, donc, en 1931, se termine sur l’ « étonnement ». Etonnement admiratif du critique, qui ne craint pas de dire de tel passage de Work in Progress : « voilà les  plus  exquises cadences  qui aient  charmé l’oreille depuis la prose de Shakespeare »(72)

 

            Troisième étape sur laquelle je serai très rapide.  Des dix années suivantes, il y aura beaucoup moins à dire. Non pas que l’intérêt de Gillet pour Joyce ait faibli, bien au  contraire.  Mais le critique est devenu un familier. Le critique fréquente Joyce, sa famille ; il correspond avec Joyce   (cf. dans le fascicule les lettres qu’ils ont échangées.) Et en décembre 1940, il publie un article qui récapitule les grands thèmes lancés dans l’article de 1931. Mais qui va aussi plus loin : il présente, toujours dans l’article de 1940, un article qui est une réflexion sur le temps, sur la destinée. La conviction, qu’il serait certainement abusif d’appeler freudienne, si à notre grande surprise Gillet n’établissait pas une coprésence dans le psychisme humain de toutes  les étapes parcourues par l’humanité, et s’il ne rapprochait pas cette présence  active du mythe chrétien du péché originel :

« Il y a partout les mêmes lois, la même évolution fatale, qui ressemble à celle qui  commande la destinée des êtres humains. M. Joyce est imbu de cette vérité : il la résume dans son héros. Comme l’enfant  dans le sein de sa mère passe par tous  les stades de la vie animale, ainsi Earwicker, dans son sommeil, traverse les étapes

diverses de la vie de l’humanité, on retrouve en chacun de nous la mentalité du primitif, ses épouvantes et ses terreurs, la boue du marécage natal, cet amas d’appétits  refoulés par l’éducation, que délie la psychanalyse et qui constitue sans doute ce que la théologie appelle le péché originel. « (p 79)

Plus loin Gillet, qui est devenu académicien toujours  bien pensant, ira jusqu’à comparer la poésie moderne   qui recueille, écrit-il, les mouvements de l’inconscient, à ce qu’il appelle la thérapeutique freudienne :

                        « Cette méthode de délier les âmes, de relâcher les gênes du social et du

                        respect humain, de débrider  les plaies par la suppuration de l’hypnose, est

                        devenu le principe de  la thérapeutique freudienne. Beaucoup de choses, dans

                        la psychologie et l’esthétique modernes, s’expliquent par cette technique de

                        l’infra-rationnel. Nous avons retrouvé la clef des songes. » (p 83)

 

            A cette date donc, dans l’article de décembre 1940, l’ultime, Gillet est déjà venu  ici, à Saint-Gérand, à l’automne, rendre visite à Joyce. Et il évoquera cette  visite en 1941, juste après la mort de Joyce, dans des articles repris dans le livre Stèle pour James Joyce, publié, comme je le disais, la même année 1941, à Marseille. C’est le livre qui est aujourd’hui réédité et que  je vous conseille de lire.

 

            C’est dans ces ultimes réflexions de Gillet sur Joyce le signe certainement d’une découverte précautionneuse qui s’est transformée en admiration, transformée en reconnaissance. Les articles

nécrologiques qu’écrit Gillet  se placent plus sur le registre de  l’émotion que sur celui de la réflexion

littéraire ou philosophique.  J’en lis quelques lignes. Evidemment ça s’impose ici ;

 

« La dernière fois que je l’avais vu, c’était dans un village du Centre, mi-berrichon, mi-bourbonnais, appelé Saint Gérand le Puy. Comment il avait échoué là, ce serait toute une histoire. Jamais le charmant auteur d’Ondine ni celui du Grand Meaulnes n’ont rêvé rien de plus étrange que la  présence de cette créature aérienne au milieu d’un village de France : c’était Trilby, c’était Puck captif dans une étable, parmi des vachers et des porcherons. Ces bonnes gens, pleins de délicatesse, ne se doutaient guère de la qualité de l’hôte extraordinaire qu’ils avaient parmi eux : un prince de l’esprit, un artiste d’une  gloire mondiale, un homme dont les livres  étaient célèbres de Moscou à New York et de Berlin à Tokyo, et qui, le jour de ses cinquante  ans, parmi des monceaux de télégrammes, en recevait un de Prague, adressé « au premier des poètes vivants.

 Je le trouvai agité ce jour-là d’une angoisse mortelle. Il brûlait de s’envoler ailleurs, il ne pouvait tenir en place. Pendant le repas, il ne put s’asseoir, ne fit que tourner autour de la table et ne s’arrêta qu’à la longue, épuisé de tourment, pour prendre une gorgée de vin. Il rêvait de partir en Suisse, où il avait,  pendant l’autre guerre, passé quelques années heureuses. Il  croyait y retrouver sa jeunesse, s’irritait des lenteurs et des formalités. Il était irlandais, mais sujet britannique. La Suisse exigeait pour le recevoir une caution de cent mille francs (cent  mille francs or il va sans dire). Il se débattait comme un sylphe, une abeille furieuse  engluée par le crêpe de ses ailes. On eût dit qu’il avait reçu un ordre, une sommation de sa destinée qui lui commandait de partir ; i l lui tardait de voler au rendez vous de ses belles années, dans le  pays où  jadis s’était épanoui  son génie.  Une fois là se disait-il, c’était le repos, la délivrance.

Ce qu’il prenait pour un appel du bonheur, c’était le coup d’aile de l’au-delà, le frisson, l’inquiétude de la mort. Elle lui faisait de là-bas un signe  énigmatique, l’invitait au dernier voyage, le seul  que  l’on puisse faire aujourd’hui sans passeport. » (p 93-94)

 

            Ici à Saint-Gérand,  je préfère m’arrêter sur ces lignes, en ne faisant que signaler le long et  ultime article, daté de 1941, publié en 1942  dans la revue  Les lettres françaises de Buenos-Aires.

 

            En le lisant dans Stèle pour James Joyce,  nous  y retrouvons l’écho des rencontres, des  conversations, un Joyce intime.

 

Alors faudrait-il intituler cet itinéraire que j’ai très rapidement présenté : Histoire d’une conversion ? En tout cas, ce livre nous permet de découvrir un Louis Gillet qui ne correspond pas exactement au pontife  barbu qui suscitait l’ironie de Valery Larbaud.  

 

 



[1] « Ulysse est un de ces mastodontes qui entrent dans la gloire comme un tank : jamais aucun auteur n’avait jeté à la tête du public une si grosse montagne de papier ». (Stèle pour James Joyce, p 38)

[2] cf. pp 38 39 op.cit.

[3] pp 41 sq

[4] p 45

[5] p 45

[6] p39

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26 décembre 2010 7 26 /12 /décembre /2010 22:00

LOUIS  GILLET    LECTEUR   DE    JOYCE                     Jacques LE BRUN

 

 

Ellmann  raconte  dans sa biographie très  fouillée de  Joyce qu’en octobre 1940, les habitants de Saint-Gérand- le-Puy furent interloqués en voyant débarquer dans le village un membre de l’Académie Française et son équipage, et leur stupéfaction s’accrut quand ils apprirent  que cet important personnage, du nom de Louis Gillet, venait rendre visite à cet écrivain irlandais, qu’on voyait vagabonder dans le village depuis près d’un a n, sans que personne ne se fût avisé qu’il s’agissait d’un des plus grands écrivains du siècle.

Louis Gillet, qui était  devenu un familier de Joyce venait d’user de toute son influence pour que Joyce obtienne le visa qui lui permettrait de quitter la France et  de rejoindre Zurich. La visite fit plaisir à Joyce, qui apprécia du même coup un article sur Finnegans Wake que Gillet envisageait de publier dans la Revue des deux Mondes.

Gillet a raconté lui-même cette visite à Saint-Gérand- le-Puy, et son récit mérite de figurer dans les archives de la bibliothèque Anna Livia Plurabelle, et d’être connu des habitants du village. Citons le passage qui concerne précisément sa visite :

 

« La dernière fois que je l’avais vu, c’était dans un village du Centre, mi-berrichon, mi-bourbonnais, appelé Saint-Gérand-le-Puy. Comment il avait échoué là, ce serait toute une

histoire. Jamais le charmant auteur d’Ondine ni celui du Grand Meaulnes n’ont rêvé rien de plus étrange que la  présence de cette créature aérienne au milieu d’un village de France : c’était Trilby, c’était Puck captif dans une étable, parmi des vachers et des porcherons. Ces bonnes gens, pleins de délicatesse, ne se doutaient guère de la qualité de l’hôte extraordinaire qu’ils avaient parmi eux : un prince de l’esprit, un artiste d’une  gloire mondiale, un homme dont les livres  étaient célèbres de Moscou à New York et de Berlin à Tokyo, et qui, le jour de ses cinquante  ans, parmi des monceaux de télégrammes, en recevait un de Prague, adressé « au premier des poètes vivants »

 

 

 La conférence de J. Le Brun

 

Dans la réception de l’œuvre de Joyce en France on connaît le rôle souvent décisif qu’ont pu jouer Valery Larbaud, Sylvia Beach, Adrienne Monnier ou encore Jean Prevost. On sait moins qu’un  autre critique, venu d’un horizon intellectuel différent, un critique très conservateur, très catholique, Louis Gillet, qui écrivait dans la non moins conservatrice Revue des Deux Mondes,(dirigée d’une main de fer par son beau-père, Doumic, dont les faveurs allaient plus à Paul Bourget qu’à Gide ou aux écrivains de la nrf)   publia entre les années 1925 et  40     une série d’articles qui  présentent encore pour nous aujourd’hui un intérêt  majeur. Reconstituer à travers les articles de  Gillet, un critique dont rien ne laissait penser au premier  abord qu’il était capable de surmonter et de transgresser les règles habituelles de lecture qu’il appliquait  aux œuvres dont il rendait compte dans la Revue, et montrer comment, en procédant à une relecture exemplaire, on peut devenir un lecteur perspicace pour autant qu’on se montre capable de dépasser ses critères et ses normes ordinaires de lecture, ces « vieux culots de l’école » comme disait Cézanne, c’est à cette  tache instructive que s’est appliqué  Jacques Le Brun, dans une conférence magistrale  et qui fera date.

 

Les rapports de Gillet avec l’œuvre de Joyce peuvent se résumer  en gros en trois moments qui s’incarnent dans trois écrits de Gillet : le premier se propose de rendre compte d’Ulysse et les deux suivants portent  sur  l’œuvre en général et plus particulièrement  sur Finnegans Wake.

 

Le 1 Aout 1925, Gillet publie dans la Revue des deux mondes un article qu’il intitule en parodiant Proust : « Du côté de chez Joyce ». Tout dans ce premier article, souligne Jacques Le Brun, a quelque chose de paradoxal : l’auteur aussi bien que le sujet, et la revue où il paraît.

Qui est Gillet, au juste ? C’est, pourrait-on dire, un amateur éclairé, curieux de nouveautés  mais qui reste « classique » dans ses goûts, d’un classicisme très orthodoxe, trop peut-être pour ne pas apparaître marqué par une idéologie conservatrice.  Esprit curieux, d’un « éclectisme bien tempéré », fait remarquer J. Le Brun, sans dogmatisme  mais sans véritable  compétence non plus. Il a rédigé de  nombreux articles, souvent sévères, sur des auteurs contemporains : Conrad, Dostoïevski, Butler, Péguy, etc.…tous publiés dans la très conservatrice Revue des Deux Mondes. Bref, on ne s‘attend guère  à découvrir une lecture novatrice d’Ulysse dans le compte rendu qu’il publie en 1925 dans la revue.  Et de fait les amis de Joyce s’irritent à l’avance, dans un tel contexte, de la lecture que Gillet va faire d’Ulysse, promis, semble-t-il, à un éreintement en règle, de la part de celui que Larbaud nommait par dérision « le rasoir Gillet ».

 

Les amis de Joyce avaient tort ! L’article comporte certes une dimension polémique que Gillet assume avec une certaine désinvolture. Ainsi Ulysse lui apparaît comme « une montagne de papier », un « livre démesuré » qui laisse le lecteur « ébahi », un livre où « il ne se passe rien » et dont le héros, Bloom n’est qu’un « lamentable personnage ». On en parle beaucoup, mais c’est parce que  l’écriture est « singulière », « obscure », écrite dans une langue intraduisible. On est avec un tel ouvrage aux antipodes  de ce que les lecteurs de la revue attendent d’un roman, et  Gillet se livre avec une certaine jubilation à un jeu de massacre  qui met en évidence  toutes les lacunes, les inconséquences, les défauts de composition de l’ouvrage, si on le juge à l’aide des critères « classiques » du roman.

 

Mais on ne peut s’en tenir là, explique Jacques  Le Brun. Il y a un envers de cette critique, qu’une lecture attentive de l’article  révèle. Jacques Le Brun  montre que Gillet  n’est pas resté insensible à ce qu’il condamne, et qu’il a décelé et même découvert qu’Ulysse obéissait à d’autres règles que les sacro-saintes règles classiques. En contestant le nom de « roman » pour caractériser Ulysse, en insistant sur sa « composition singulière », il met en évidence que l’ouvrage est une pièce capitale  dans le débat  sur la crise du roman qui agite le monde littéraire de l’époque. Jacques  Le Brun souligne à juste titre l’ambivalence et le caractère paradoxal de la critique de Gillet quand il parle, par exemple, de « démesure » pour qualifier l’ouvrage. Sans doute,  du point de vue du lecteur traditionnel de la revue, c’est une critique,  mais c’est aussi la  reconnaissance de l’importance, de la nouveauté, de la modernité d’une œuvre exceptionnelle. Mieux encore : Gillet va jusqu’à parler d’une « description colossale » pour qualifier le portrait de M. Bloom, et la critique ici laisse place à une sorte d’enthousiasme que Gillet  peine à contenir. Gillet, ou le critique lucide malgré lui, plaisante Jacques Le Brun.

 

Le paradoxe peut  être poussé plus loin encore. Car cette œuvre qu’il jugeait inclassable, hors normes, finit par lui apparaître comme un point de destruction. « Un genre littéraire, dit joliment Jacques Le Brun,  s’est dissous pour ainsi dire dans le rien de  la pensée d’un homme. Mais aussi paradoxalement, c’est ce rien de  l’insignifiance de la  pensée d’un homme qui se meut en une œuvre totale »- Quand Gillet écrit que « l’intelligibilité ou la pensée claire » s’est dissoute « dans  le peuple confus du sentiment et de l’instinct », « dans  l’inarticulé, le trouble, le crépusculaire », ou encore que  « la pensée se faisant » a pris la place de « la pensée faite », il touche juste et montre qu’il a saisi l’importance  d’Ulysse . Tout se passe comme si, devant un tel monument, l’étonnement, la curiosité, et au bout du compte l’admiration,  finissaient par briser les cadres étroits et confortables d’une critique « classique » ou traditionnelle. Le  réquisitoire tourne à l’apologie.

 

Six ans plus tard, en 1931,  Gillet consacre un nouvel article à Joyce, toujours dans la Revue des Deux Mondes. Cette fois l’éloge est sans réserves, et Gillet dégage avec perspicacité les thèmes fondamentaux et les axes directeurs de ce qui n’est encore connu que sous le nom de Work in Progress et qui deviendra  Finnegans Wake. Il commence par qualifier le texte de Joyce de « nouveau roman », les fragments publiés sont déclarés « classiques », et il met de façon pertinente l’accent sur le temps chez Joyce : non pas la durée bergsonienne comme chez Proust, mais « le temps  absolu, intemporel, monumental de l’illustre Giambattista Vico ». Son rapport au temps de l’histoire – ce cauchemar dont Stephen Dedalus voulait se débarrasser dans Ulysse – prend la forme d’une « chronologie réversible ».Les siècles peuvent devenir contemporains, Dublin peut alors devenir le cadre où on peut faire tenir «  toute la mémoire de l’humanité, toutes les histoires, toute la terre, une représentation de l’histoire universelle : All space in  a nutshell ; » (74) – Dès lors le génie de Joyce peut se révéler dans sa capacité à fabriquer des cosmos, et cette nouvelle entreprise n’ a rien de commun avec ce qu’on appelle un roman ; les thèmes s’engendrent en constituant une légende, une sorte d’histoire extra temporelle. Jacques Le Brun souligne la pertinence de cette remarque et l’importance du terme de légende pour qualifier l’entreprise de Joyce : «  Une légende c’est ce qu’on doit lire, c’est ce  qui se lit, c’est ce qui se raconte  et ce qui doit se lire (…) une légende n’est pas une histoire inscrite dans le temps, mais ce qui construit, à partir de toutes les histoires du monde, une histoire qui récapitule toutes les histoire racontées et lues par  les hommes. C’est la Genèse, c’est Homère… »

 

Du même  coup le retour  se fait vers  des œuvres  cosmiques ; mais dans ces cosmos que fabrique Joyce il n’y a  plus de héros, et ces personnages qui vivaient encore dans Ulysse dotés d’une certaine identité, et qui dans le roman traditionnel constituaient des pièces essentielles, ici se décomposent, ils revêtent « l’être de monsieur tout le monde ». Et  comme le souligne Jacques Le Brun  il faut peser avec soin cette mutation : « une littérature de cosmos succède à la littérature du roman ». Lire va impliquer une autre démarche, que Gillet repère avec une très grande perspicacité. Désormais, avec Finnegans Wake, on a un livre qui se construit « dans l’acte même de sa lecture ». La décomposition des personnages du roman classique, l’altération, et même ce que Gillet nomme « l’émiettement du moi », ne conduisent pas à un effondrement de la littérature, mais  à de nouvelles possibilités d’invention et de construction « dans l’acte même de la lecture ». A nouvelle lecture, nouveau lecteur. Légende : ce qu’il faut lire, un livre, dit très justement Jacques Le Brun, « qui ne cesse de se construire – de se construire par l’acte même de sa lecture ». Les exemples de lecture que donne Gillet sont révélateurs : il montre comment  dans Finnegans Wake, on trouve dans chaque expression un empilement de significations superposées (le sens littéral, le sens allégorique, le sens traditionnel, le sens de l’écriture…) qu’il faut peler « comme autant qu’il y a de tuniques à un oignon » pour les découvrir. [1] Le livre de Joyce, dit Jacques Le Brun, peut alors être mis sur le même plan  que ces livres qu’on ne cesse de « peler » : Homère, la Bible, où peuvent s’appliquer  des méthodes d’interprétation comparables aux méthodes de l’exégèse biblique…  [2]

 

               La troisième étape est moins novatrice. Gillet est devenu un familier de l’auteur. Son article de 1940 reprend et récapitule les grands thèmes qu’avait dégagés l’article de 1931. Une originalité cependant tient, remarque Jacques Le Brun, à la place qu’il accorde à la réflexion sur le temps et la destinée humaine dans l’œuvre  de Joyce : toutes les étapes parcourues par l’humanité, de la mentalité primitive, « cet amas d’appétits refoulés par l’éducation », que Gillet rapproche du péché originel se retrouvent en chacun de nous, dans le parcours de notre vie. Et alors que la psychologie  traditionnelle se montrait obsolète pour saisir cet infrahumain, Gillet se tourne du côté de la psychanalyse et de la « thérapeutique freudienne ». La poésie moderne recueille ces mouvements de l’inconscient, et la psychanalyse délie les âmes. « Beaucoup de choses », écrit-il, »dans la psychologie et l’esthétique modernes, s’expliquent par cette technique de l’infra-rationnel. Nous avons retrouvé la clef des songes. » (p83)

 

             Etonnant parcours que celui de ce critique, que Jacques Le Brun a su reconstruire avec la clarté pédagogique qui le caractérise, cette capacité de démêler les passages les plus ardus et d’en permettre l’accès à l’auditeur ou au lecteur. Et belle leçon à méditer pour tout lecteur de Joyce. Qu’il accepte de prendre ses distances avec les critères « classiques » de la lecture, et l’œuvre s’ouvre, dans le même temps qu’elle le rend inventif en élargissant  et en enrichissant sa vision du monde.

 

Gérard Colonna d’Istria

Professeur honoraire agrégé de Philosophie.



[1] « On voit comment les thèmes s’engendrent dans cette étrange symphonie ; les hommes sont, aujourd’hui, comme aux origines du monde, les jouets des forces de la nature ; ils traduisent leurs impressions dans des mythes où s’incorporent des fragments de souvenirs, des lambeaux  de la réalité en suspension dans la mémoire. Et ainsi se constitue une légende, une sorte d’histoire extratemporelle, formée du résidu de toutes les histoires, ce qu’on

pourrait appeler (en se servant d’un titre de Jean Sébastien Bach) une Cantate pour tous les Temps. »  (Stèle pour James Joyce, p 61)

[2] Autre exemple : « M Joyce s’est donc construit un instrument à son  usage, à un nombre inouï de cordes, que ses  doigts agiles manient avec autant de rapidité  qu’on voit  agiter leurs bobines aux dentellières du Puy, faisant apparaître dans les mots une miraculeuse variété de significations. Il suffit quelque fois d’une lettre changée, d’une simple « coquille » « : When all is zed and done » (au bout du compte, quand tout est dit), avec  le jeu piquant sur le mot said et la lettre Z, la dernière de l’alphabet. Ailleurs, le  calembour  pur et simple : muddy terranean  (Méditerranée) fait sourire en faisant brusquement ressortir l’épithète muddy (boueuse, limoneuse) du nom classique de la mer d’azur. (…) Mais il y a des cas encore plus compliqués. L’auteur, dans une phrase d’ailleurs délicieuse sur la naissance d’une source, veut peindre un arbre qui tombe en travers du courant et y provoque une cascade. Il dit que cet arbre forstfellfost. Le mot est inventé de toutes pièces. Il est créé autour de fell, prétérit de to fall , (tomber) avec redoublement d’une allitération en F pour encadrer ce radical. La charpente est évidemment cette suite  de consonnes, f, f, f, par lesquelles on indique en musique un fortissimo. Maintenant forst  est un thème forgé, qui n’existe dans aucun lexique, mais qui suggère le son first et celui de forest, c'est-à-dire l’idée de chose végétale, primitive. La finale foss est scandinave, et désigne une chute d’eau. Cette syllabe termine ce vocable composite par un bouillonnement et une écume barbare. En soi le mot et  prodigieux : c’est une création naturaliste, un petit poème complet comme un hai-kai japonais, un de ces vivants hybrides comme la Grèce en créait dans les Sirènes et les Centaures.Mais on va m’accuser de découvrir dans ce forstfellfoss autant de beautés que Philaminte dans le fameux « quoi qu’on die ».

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26 décembre 2010 7 26 /12 /décembre /2010 21:59

Intervention au colloque 2010-07-27

J. Neboit-Mombet

 

RÉCEPTION DE L’ŒUVRE DE JOYCE EN RUSSIE ET EN UNION SOVIÉTIQUE

 

Il ne s’agira ici ni d’une exégèse de l’œuvre de Joyce, ni de critique littéraire, mais d’un véritable devoir de mémoire envers ceux qui, principalement en URSS, ont essayé de faire connaître son oeuvre et l’ont souvent chèrement payé. Il n’est pas de plus bel hommage à James Joyce que les efforts faits contre vents et marées pour le traduire et le faire publier.  Nous avons puisé pour en faire un résumé dans le volumineux ouvrage de Neil Cornwell (James Joyce and the Russians – Université de Bristol) et le long article consacré par Emily Tall à l’Union Soviétique et à la Russie dans The reception of James Joyce in Europ (Université de Londres).

 

Les aleas de la publication des différentes œuvres de Joyce sont liés aux variations de la politique culturelle de l’URSS. Jusqu’à la fin des années 20, toute une littérature originale, d’avant-garde, peut voir le jour. Quand Isaac Babel, dans Cavalerie rouge, montre les Cosaques de l’armée rouge avec toutes leurs qualités, mais aussi leurs défauts, leur antisémitisme, leur brutalité, le général Boudionny réagira par écrit, mais Babel restera libre. Il sera exécuté en 1939. La littérature des années 20 foisonne d’écrivains d’avant-garde. Les échanges sont possibles avec l’Occident, la France en particulier, bien que le français ait déjà en Russie été supplanté par l’anglais comme seconde langue.

La première mention de Joyce date de 1922, dans un article de L’Ouest contemporain, dont Zamiatine, auteur du roman Nous deux, qui présente sous un jour très pessimiste une société basée sur le rejet du monde ancien, est le directeur. Quelques épisodes d’Ulysse paraîtront également en revue et Gens de Dublin sera partiellement édité.

Joyce rencontre à Paris Ilya Ehrenbourg, Isaac Babel (en 1928) et Eisenstein, qui a été très impressionné par la lecture du Portrait de l’artiste et surtout d’Ulysse dont il perçoit les aspects cinématographiques (l’usage qui pourrait être fait, par exemple, du monologue intérieur).

Avec la disparition de Lénine, la période de tolérance est terminée. Contrairement à une idée répandue, les meilleurs écrivains russes ou bien n’émigrent pas, ou ne supportent pas l’exil et reviennent malgré le danger, ou semblent avoir perdu une partie de leur talent. Avec bien sûr des exceptions : Nabokov, capable de s’adapter partout, d’écrire en trois langues avec un égal bonheur, et Bounine qui traîne à l’étranger sa vieille Russie...

Le tournant se fait en 1932, avec la nouvelle phase obligée du « réalisme socialiste ». Il est déjà annoncé en 1925 : le Parti prend le contrôle de la culture, sans toutefois, théoriquement du moins, « adhérer à aucune tendance dans le domaine de la forme littéraire » et permettant, théoriquement du moins, « un libre jeu entre les différents groupes et tendances dans ce domaine. »

La théorie officielle du réalisme socialiste en fait « la méthode fondamentale de la littérature et de la critique littéraire soviétiques, qui exige de la part de l’artiste une représentation véridique et historiquement concrète de la réalité dans son développement révolutionnaire ».

La formule sera appliquée dans son sens le plus restrictif. La forme sera attaquée autant que le fond, et l’exigence du réalisme socialiste condamnera au mutisme, à l’incarcération et à la mort bien des écrivains soviétiques ; elle fera barrière à l’introduction de la littérature occidentale due à des auteurs autres que ceux choisis pour leurs sympathies politiques. De bons auteurs se sont malgré tout manifestés et ont pu échapper à la censure en choisissant par exemple des genres littéraires laissant une plus grande liberté : la littérature pour enfants et le roman fantastique ou historique (pour ne citer que Tynianov (La Mort du Vazir Moukhtar, Le lieutenant Kijé...). Une autre conséquence de la doctrine officielle fut la rupture avec l’Occident et l’isolement culturel.

Bien sûr les étrangers devaient répondre pour être édités aux mêmes critères et Joyce ne correspondait certainement pas au type de l’intellectuel que Staline voulait « ingénieur des âmes ». Son œuvre fut qualifiée de tas de fumier, grouillant de vers filmés à travers un microscope. Il restera cependant partiellement traduit et publié jusqu’à la « Grande Purge » de 1937 (circonstance sans doute aggravante, son héros était juif !)

En 1934, Eisenstein fait sur l’aspect cinématographique de son œuvre un cours brillant aux étudiants de quatrième année de la Faculté des Réalisateurs à l’Institut d’État de la Cinématographie.

La première publication d’extraits d’Ulysse date de 1925, dans une traduction de Jitomirsky, dans la revue Nouveautés d’Occident. En 1929, extraits des épisodes 3 et 4 d’Ulysse dans la  Literatournaïa Gazeta (Gazette littéraire) – traduction de S. Alimov et M. Levidov.

À partir de 1934, Valentin Stenitch traduit à son tour plusieurs épisodes du roman : Les Enfers, sous le titre L’Enterrement de Patrick Dignam, deux autres épisodes en 1935, dont La matinée de Mr Bloom, avec une introduction de Mirsky. Mais Mirsky est arrêté en 1937, Stenitch arrêté et exécuté en 1938 – ses archives, confisquées, n’ont jamais été retrouvées.

Un autre traducteur, Ivan Kashkine, avait projeté, et entrepris en 1936, la traduction de dix épisodes à publier dans Littérature Internationale.  Mais un mystérieux coup de téléphone lui ordonne d’abandonner ce travail. Un autre de ses confrères, Igor Romanovitch, est arrêté en 1938.

Gens de Dublin, qui avait pourtant reçu des    autorités un accueil plus favorable puisqu’il montrait certaines tares de la société capitaliste, sera traduit intégralement entre 1935 et 1937, mais publié sans le nom des traducteurs, victimes eux aussi des purges.

Il ne sera plus fait aucune mention officielle de Joyce pendant vingt ans, excepté dans une biographie en 1940 et pour annoncer sa mort.

En 1970, toutes les traductions d’Ulysse avaient disparu des bibliothèques, les pages ayant été arrachées et volées par des admirateurs impatients.

Les persécutions et les condamnations cessent à la mort de Staline, avec le discours de Khrouchtchev au XXe Congrès. Les polémiques se poursuivront, mais on n’ira plus au goulag.

Elles porteront à a fois sur le fond et sur la       forme. Les trois grandes cibles sont Joyce, Kafka et Proust, accusés d’être les « coryphées du modernisme ». Les critiques vont reprocher à Ulysse son pessimisme, une vision erronée de l’histoire, considérée comme un chaos (avec cependant des critiques positives des scènes satiriques « anti-bourgeoises », déjà appréciées dans Gens de Dublin).

En 1970, Victor Khinkis entreprend une traduction intégrale d’Ulysse, sur la suggestion  d’Alexandre Muliarchik, chef du Département de Littérature moderne étrangère aux Éditions du Progrès, en collaboration avec Sergueï Khorouji. Ce dernier reprendra la totalité de la traduction après la mort de Khinkis en 1981. Le droits appartiendront conjointement aux deux traducteurs, mais la publication complète de l’ouvrage n’aura lieu qu’en 1993 (édition Respublika), avec un commentaire de Ekaterina Geneva, une jeune licenciée de littérature anglaise de l’Université de Moscou, qui avait, encouragée par quelques « grands » de l’Université, défendu en 1971 la première thèse sur Joyce, Elle replace le roman dans son contexte historique, souligne les difficultés de traduction - qui diffèrent selon les langues - et donne de Joyce l’image non d’un pessimiste, mais d’un humaniste.    .

 

[La traduction] fut un véritable calvaire. Non seulement en raison de la difficulté du roman lui-même (Khinkis aimait à dire que traduire était l’équivalent des travaux forcés), mais à cause de sa situation personnelle. Ses efforts répétés pour obtenir un contrat, donc quelque aide financière, furent vains et il dut accepter d’autres traductions pour subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille. Un deuxième facteur, qui joua sur son travail, était son état de santé. Il souffrait d’une psychose maniaco-dépressive. Ses accès de manie duraient des mois, pendant lesquels il travaillait fiévreusement, ne dormant que quelques heures par nuit ; mais ces périodes d’hyperactivité étaient suivies d’accès dépressifs pendant lesquels il restait au lit des semaines entières et même, à la fin de sa vie, des mois.

Khinkis regrettait beaucoup de n’avoir jamais visité l’Irlande. Il n’avait été autorisé à quitter son pays qu’une fois, soit à cause de sa maladie, soit à cause de ses opinions politiques. Bien qu’il ne soit pas un dissident actif, il avait signé des lettres de protestation contre le procès de Siniavski et Daniels, et contre l’exclusion de Soljenitsyne de l’Union des Écrivains, Le KGB l‘avait averti d’être prudent s’il voulait continuer à travailler. Il mourut trois ans plus tard, à cinquante ans, d’un accident cardio-vasculaire, laissant son œuvre inachevée. Un de ses bons amis, Marlen Kerallov, chercheur et critique littéraire, porte ce jugement sur la place de Khinkis dans la culture russe :

« Après le XXe Congrès, en 1956, nous avons soudain réalisé que nous, c'est-à-dire notre société, nous avions dormi pendant tout le vingtième siècle littéraire... ce vingtième siècle, nous ne le connaissions pas. Et ceux qui avaient du talent, pour qui il était important non seulement de traduire, non seulement de gagner son quignon de pain, ceux qui n’étaient pas seulement des tâcherons, sentaient – peut-être pas clairement, peut-être pas consciemment – que leur mission, leur tâche, était de maîtriser la littérature étrangère contemporaine. Ce qu’ils ressentaient, c’était simplement un désir ardent, une soif, pour ce savoir. C’était une soif personnelle, mais qui coïncidait avec une soif sociale, un besoin de la société. C’est ainsi que j’explique le choix fait par Khinkis des auteurs les plus difficiles.

En tant qu’individu, il était brillant, il avait de l’éducation ; dans ses bons moments, c’était un interlocuteur merveilleux. Lui et ses amis étaient la fine fleur de la jeunesse de cette époque, des jeunes gens cultivés qui participaient des valeurs spirituelles du siècle, et même de tous les siècles, de toute l’humanité.

Quant à ses démêlés avec le KGB [...], il n’avait pas de système de freinage intérieur... Et puis, il était en rapport avec la littérature américaine, la littérature anglaise. C’était son milieu, sa nécessité professionnelle et, comme il avait beaucoup de contacts, une attention de la part de cette très respectée organisation {le KGB}, était inévitable, surtout étant donné son manque de retenue. Bien sûr, il le sentait, il ne pouvait pas ne pas le sentir. Mais il ne changea ni de milieu, ni de conduite. Il suivait son chemin. Il avait le sens de la dignité humane et il était offensé »

L’histoire de la façon dont la traduction d’Ulysse fut terminée et publiée est une odyssée en elle-même... Khinkis avait exprimé la volonté que tous ses manuscrits soient remis à Khorouji, à la condition que celui-ci fasse tout ce qui serait en son pouvoir pour en compléter et publier la traduction, sinon en Russie, alors en Occident. Avec l’aide de Geneva, qui avait les relations nécessaires dans les milieux éditoriaux, Khorouji (mathématicien par profession, spécialiste de la philosophie religieuse russe par vocation) se vit offrir un contrat par la maison d’édition Les Belles-Lettres. Il termina la traduction en 1986, mais on discuta alors la compétence du traducteur et même l’origine de la traduction ! Les choses se compliquèrent encore du fait de heurts entre personnalité et de petites manies personnelles. C’est alors que le journal Littérature étrangère entra en lice et se débrouilla pour être seul à publier Ulysse. Le roman parut en feuilleton en 1989, sous les deux noms de Khorouji et de Khinkis. Les notes étaient de Geneva et l’introduction de l’académicien respecté Dimitri Likhatchev.

Après cet effort titanesque, on pouvait s’attendre à des réactions de la part des lecteurs de la revue. Dans les six mois qui suivirent, on publia celles de ceux qui avaient au moins essayé de le lire, on les eut : protestations, ennui, appel à des textes faciles, menaces de résiliation d’abonnement. Une bibliothécaire de Kiev, par exemple, écrivit : « Nos lecteurs n’acceptent pas Ulysse. Ils ne comprennent pas pourquoi vous publiez de telles choses qui se traînent toute l’année... Ne comprenez-vous pas que les gens sont fatigués ? »

Par contre, un bûcheron écrivait qu’il était très heureux qu’Ulysse ait enfin été publié et un vétéran de la guerre qui habitait la province rappela qu’il en avait lu des extraits pendant qu’il était hospitalisé lors du blocus de Leningrad, et qu’après la guerre il avait en vain recherché un exemplaire complet. Maintenant qu’il avait Ulysse à sa portée, il exultait à la lecture d’une bonne littérature. Rappelons que 1989 marquait le point culminant de la politique de perestroïka et de glasnost. Les journaux regorgeaient de textes interdits dans le passé, et même la télévision était devenue fascinante. Le temps a montré, cependant, qu’après que les lecteurs ont eu fait leur plein des classiques russes interdits et des classiques occidentaux, ils sont retournés à la littérature sérieuse – en assez grand nombre pour constituer un lectorat pour Ulysse... Comme l’écrit Likhatchev dans son introduction : « Ulysse va maintenant être publié, non pour quelques mois, non pour quelques années, mais pour des centaines d’années. Il sera difficile de faire une autre traduction. Mais celle qui a été faite est un acte d’héroïsme moral de la part du traducteur, non seulement parce qu’il ne pouvait compter sur une publication rapide et facile, [...] mais parce qu’il était tombé amoureux de la prose anglaise. [...] Essayons de lire la prose de Joyce sans idées préconçues. Mettons de côté nos vieilles habitudes de lecteurs. Après tout, la culture réside moins en ce qu’une personne dit qu’en sa faculté d’écouter et de comprendre. La grandeur de la culture russe est venue d’un re-travail créatif de la culture étrangère. Seul le temps pourra dire ce que sera la contribution de Joyce.[1].

 

En 2000, un choix de textes de Joyce, comportant dix épisodes d’Ulysse, est publié aux Éditions Radouga.

En 2003, Stephen le héros et Portrait de l’artiste

En 2004, recueil de textes variés.

Actuellement, la quasi-totalité de écrits est disponible.

 

Dans les autres républiques de l’URSS :

 

- En Lituanie, une tentative de Tomas Venclova, mais celui-ci doit émigrer, et se heurte par ailleurs à d’énormes difficulté de traduction. En lituanien, la plus ancienne des langues indo-européennes d’Europe, l’argot et même le parler urbain sont peu développés. Certains des registres stylistiques utilisés par Joyce manquent totalement et doivent être créés.

- En Géorgie, Niko Kiasahvili, qui connaît parfaitement l’anglais pour avoir été attaché culturel de l’ambassade d’URSS en Grande-Bretagne, traduit en 1968 Giacomo Joyce pour la Literatournaïa Grouzia . Il travaille sur Ulysse de 1971 à 1996, mais il  meurt en 1999.

- En Belarus (ex Biélorussie), Joyce est actuellement censuré car jugé séditieux et pornographique, ainsi que William Borrough, Henry Miller et Sorokin, romancier russe contemporain, pour son roman Le Lard bleu, jugé politiquement incorrect.

 

JOYCE VU PAR DES ÉCRIVAINS RUSSES

Souvenir d’Ilya Ehrenbourg qui rencontre Joyce  à un dîner du Pen Club donné en l’honneur de l’écrivain italien Italo Svevo :

Joyce était déjà célèbre, son Ulysse paraissait à beaucoup une forme nouvelle du roman ; on le comparait à Picasso. J’ai été surpris par sa simplicité – les écrivains français parvenus à la célébrité se comportaient différemment, Joyce plaisantait et me raconta tout de suite comment, quand, jeune homme, il était arrivé à Paris pour la première fois, il était allé dans un restaurant ; quand on lui apporta l’addition, il n’avait pas de quoi payer et dit au garçon : « Je vais vous faire une reconnaissance de dette. Je suis connu à Dublin ». Et le garçon répondit : « Moi, je vous connais, et vous n’êtes pas de Dublin ; c’est la quatrième fois que vous vous goinfrez ici, et c’est toujours le roi de Prusse qui paie... ». Il eut un petit rire enfantin.

En tant qu’individu, il n’était pas moins original que ses livres. Il n’y voyait pas bien, il avait les yeux malades, mais il disait avoir une très bonne mémoire des voix. Il aimait boire, un mal connu depuis longtemps des écrivains russes. Il travaillait avec frénésie, semblant n’avoir dans la vie d’autre distraction que le travail. On me raconta que, lorsque éclata la seconde guerre mondiale, il s’écria, horrifié. « Et comment est-ce que maintenant je vais finir mon livre ? ». Sa femme avait une attitude ironique vis-à-vis de ses recherches et ne lisait pas une seule de ses œuvres. Il avait quitté l’Irlande à peine adulte et ne souhaitait pas retourner dans son pays, il avait vécu à Trieste, Zurich et Paris et il mourut à Zurich, mais quoi qu’il écrivît, il se sentait toujours à Dublin. Il m’apparaissait, à moi, comme un fanatique du travail, avec les qualités d’un génie, surdoué comme un Andreï Biély irlandais, mais sans aucun penchant pour l’histoire, sans messianisme, un moqueur extraordinaire qui était pris pour un prophète, un Swift dans une contrée sauvage où il n’y a même pas de Lilliputiens.

Italo Svevo me parlait beaucoup de l’influence qu’avait eue sur lui le roman russe. Joyce tirait ses récits de sa propre expérience spirituelle et d’un élément musical, il ne connaissait pas le peuple et n’avait pas envie de le connaître. Svevo me raconta que Stephen Dedalus, le protagoniste d’Ulysse, aurait dû s’appeler Télémaque ; Joyce aimait les noms symboliques et Télémaque signifie en grec « loin du combat ».

En 1939, Anna Akhmatova écrit à son amie Choukovskaïa :

 : L’hiver dernier, j’ai lu Ulysse. Je l’ai lu quatre fois avant d’être « accrochée ». Un livre vraiment remarquable. Bien que, pour mon goût, il y ait trop de pornographie... Un livre étonnant... Vous ne le comprenez pas, parce que vous n’en avez pas pris le temps ; mais moi, j’ai beaucoup de temps ; j’ai lu cinq heures par jour, et six fois. Au début, j’avais l’impression de ne rien comprendre, mais petit à petit, tout s’est révélé, comme si on développait une photographie. Hemingway et Dos Passos sortent de lui. Ils sont tous nourris des miettes tombées de sa table.

Bien que l’Irlande et la République de Russie entretiennent de bonnes relations, le Bloomsday est mentionné sur le web, mais ne semble pas susciter le même intérêt que la Saint Patrick. La manifestation littéraire qui devait être organisée cette année, en 2010, dans l’appartement de Nabokov a dû être annulée faute de participants. C’était il est vrai la première. Mais existe-t-il une ville en France où Joyce et son Leopold Blum aient autant de fidèles qu’à Saint-Gérand le Puy ?

 ÉCHANGES SUR LE NET

Une page sur Internet (site 5ka.ru) .est consacrée le 2 mai 2010 à l’exposition prévue en Irlande pour le Bloomsday du manuscrit d’Ulysse, prêté par les USA.

Le 20 juin, un article intitulé « L’Irlande mystérieuse et l’âme irlandaise » renseigne les Russes sur la fête populaire du Bloomsday, « festival littéraire officiel qui commence quatre ou cinq jours avant la date officielle... nombreuses sont les scènes, à Dublin, où l’on récite des vers, on lit de la prose, on distribue des prix littéraires, on discute et on dispute...Les billets pour y accéder se vendent déjà en avril. »

Le même jour, on trouve sur le site russianireland.com/content/view une intervention d’Anatoli Koubriavitzki, « écrivain russo-irlandais, poète et traducteur, vivant à Dublin » sous le titre « Le Bloomsday est-il une fête juive ? ». Nous en citerons quelques passages :

« Il est intéressant de savoir que le héros Leopold Bloom est le fils d’un émigrant hongrois et d’une Irlandaise. Bien qu’il soit à moitié Irlandais, les héros du roman le considèrent comme Juif. Un personnage, instituteur, lui dit : « L’Angleterre est aux mains des Juifs »... Un autre lui demande : « Où est ta patrie ? » C’est l’Irlande, répond Bloom/ J’y suis né». Et le citoyen répond en le menaçant de fracasser son crâne de youpin. Joyce lui-même se sentait mal à l’aise en Irlande. En fêtant le Bloomsday, les Irlandais oublient souvent le sous-texte hébraïque... L’attitude des Irlandais envers les Juifs est variable. Le pogrom de 1904 à Limerick a provoqué un exode massif vers l’ouest de l’Irlande... Avant la deuxième guerre mondiale,  Valera ferma la frontière aux réfugiés venus d’Allemagne. « En Irlande, écrit Joyce dans Ulysse, nous n’avons pas eu de problèmes avec les Juifs, nous ne les avons tout simplement pas laissé entrer»...Pendant la guerre, l’Irlande était théoriquement neutre, mais à Dublin, on dessinait beaucoup de croix gammées... Nous, Irlandais, nous fêtons le Bloomsday, jour du Juif Bloom, pratiquement sans Juifs... »

Janine Neboit-Mombet

Colloque Saint-Gérand le Puy – Juin 2010

 

                           

 

 

 

 

 

 

 

 

 



[1] Emily Tall : The reception of Joyce in Europe – ed. Geert Lernout & Wim van Mierlo. Traduction J. Neboit-Mombet

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25 décembre 2010 6 25 /12 /décembre /2010 22:03

En soirée, Pascal Bataillard, Maître de conférences à l’Université Lumière de Lyon II, s’est livré, avec bonheur, à une comparaison inattendue entre Joyce et Rossellini sur le thème : Voyage en Italie, Joyce et Rossellini deux monstres sacrés. Cinéphile confirmé, auteur d’un livre sur Dubliners and The Dead de John Huston, Co traducteur de la dernière édition d’Ulysse,  il ne pouvait pas ne pas s’interroger sur le fait que Rossellini semblait vivre dans cette réalisation une expérience propre, distanciée, sous le nom de ses personnages appelés Joyce. Pascal Bataillard a développé et confirmé cette hypothèse en comparant les expériences vécues par Joyce et Nora, par Gretta et Gabriel des Morts dans Dubliners, par le couple anglais de Voyage en Italie, par le couple Rossellini – Bergman, le tout sur fond de rapports au corps, au désir, à la souffrance, à la mort, qui paralysent la création.

 

Simone Courtadon membre du CA

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31 mai 2010 1 31 /05 /mai /2010 19:02

Affiche-J-ULYSSE-2010.jpg

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31 mai 2010 1 31 /05 /mai /2010 19:00

                                INVITATION

 

 

                                    Xavier CADORET, Maire de Saint-Gérand-le-Puy,

                                Jean-Claude PERONNET, Président de l’Association :

 

James JOYCE à Saint-Gérand-le-Puy

 

Ont le plaisir de vous convier au

 

Jour d’Ulysse 2010

 

Ainsi qu’au vin d’honneur offert par la Municipalité

 

Le samedi 26 juin 2010 à 18h – Espace James Joyce

à Saint-Gérand-le-Puy

 

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31 mai 2010 1 31 /05 /mai /2010 18:57

 

 

Jour d’Ulysse  26 juin 2010 – Espace James Joyce –

03 Saint-Gérand-le-Puy

 

Joyce et l’Europe

 

·         9h : Petit déjeuner irlandais

A la Pâtisserie « Aux Délices »

 

·        10h30 : « Sur les pas de Joyce dans Saint-Gérand »

 Visites, Lectures, Animation musicale par les J.J. Minstrels

 

·         12h : Déjeuner au Café Parisien

 

·         14h30 : Conférence de Janine Neboit-Mombet :

Réception de l’œuvre de J. Joyce en Russie  et en URSS.

·      16h30 : Conférence  de Jacques Le Brun :

      James Joyce et Louis Gillet

 

·        18h : Vin d’Honneur offert par la Municipalité de Saint-Gérand-le-Puy

·         19h : Dîner à l’hôtel de la Paix

Animé par les J.J. Minstrels

 

·       21h : Conférence de Pascal Bataillard

"Voyage in Italy" Joyce et Rossellini  deux monstres sacrés. 

____________________________________________________________________________________

COUPON DE RESERVATION

À retourner à  la trésorière

Simone Courtadon, 10 rue de Provence

 03150 Varennes sur Allier

scourtadon@orange.fr

' : 06 81 79 42 54

(avec le règlement, à l’ordre de James Joyce à Saint-Gérand le-Puy, avant le 19  juin 2010)

 

Nom :

Prénom :

Adresse :

CP :

Ville :

' :

Email :

Petit Déjeuner        x   8 € =     

Déjeuner                x  17 € =     

Dîner  musical       x   22 € =     

  Total :         

o       Chèque        o       espèces

 

 

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